II. Un exemple de travail artistique : Meyerhold fait répéter la comédienne Maria Babanova dans une scène de la pièce Hurle Chine ! (p. 366 et sq) Sergeï Trétiakov avait passé une année en Chine dans cette époque troublée que Malraux devait décrire d'une manière si dramatique. Il en avait rapporté la pièce Hurle, Chine!, reportage sur la sinistre vengeance ordonnée par le commandant de la canonnière anglaise Cockhafer. Après la mort d'un journaliste américain prétendument tué par des bateliers chinois, ce commandant exige de la municipalité de Van Sian, bourgade située sur la rive du Yang-tsé-kiang, l'exécution de deux bateliers à titre de represailles. Le même sujet serait repris dans le film de Robert Wise, la Cannonière du Yang Tsé, réalisé au moment de la guerre du Vietnam. Meyerhold confie à son assistant, Vassili Fiodorov, le soin de préparer la mise en scène. La pièce est divisée en neux épisodes appelés des "nuds". Appliquant les règles qu'il a apprises, Fiodorov s'entoure d'une documentation conséquente, lit tout ce qu'il peut trouver sur la Chine, étudie des illustrations et élabore des solutions scéniques ingénieuses. Comme le dit Garine :
Une fois de plus, Meyerhold attribue à Babanova un rôle secondaire, celui du boy au service du commandant. Mais de ce petit rôle, l'imagination scénique du metteur en scène et l'art de la comédienne vont faire un morceau de bravoure unanimement salué. Humilié par ses maîtres, horrifié par l'annonce que deux Chinois devront être suppliciés injustement, le boy opère un meurtre symbolique : célébrant des rites anciens, il chante une mélodie funèbre avant de se pendre à la porte de la cabine du commandant, appelant sur sa tête la vengeance des esprits. D'après son assistante, Loukchina, il a suffi d'une seule répétition de quarante minutes pour mettre au point cet épisode qui s'est révélé comme un des moments cruciaux du spectable. À quoi Babanova ajoutera : "Je suis prête à patienter cinq ans, dix ans pour retrouver le bonheur d'une séance de quarante minutes comme celle-là." Voici comment Garine décrit la scène :
Lorsque cette scène eut été réglée tous les acteurs présent leur ont fait une ovation. Loukchina ajoute un détail perfide. À lz fin de la répétition, on entend tout à coup la voix de Zinaïda Reich qui, entrant dans la salle, fait retentir un "Seva" bien appyué (Séva est le diminutif affectueux de Vsévolod). Tout est dit. De l'homme ou du metteur en scène, qui l'emportera ? Cinquant ans plus tard, Babanova garde intact le souvenir de cette séance exceptionnelle. Malgré son amertume, elle est restée fidèle à l'image de cet homme qu'elle a admiré comme comédienne et adoré comme femme.
Avare ce compliments, Meyerhold laisse échapper :
"Quelle intelligence!" Ce petit épisode contribuera plus
au succès de la pièce que les inventions techniques dont
elle regorge : l'eau qui sépare la scène et la salle, les
mouvements de la masse réglés à la perfection et
le déplacement impressionnant de la tourelle de la canonnière
qui tourne la gueule noire de son canon vers le public à la fin
de la pièce. |
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