I. Un ennemi du peuple. Toute la carrière artistique de Meyerhold est passée au crible et ne bénéficie d'aucune indulgence (Extrait de l'article vengeur de la Pravda du 17 décembre 1937) (p. 40 et sq)

Pour le vingtième anniversaire de la Grande Révolution socialiste, sur les sept cents théâtres professionnels que compte la Russie, il s'en est trouvé un seul qui ait omis de présenter une création spécialement conçue pour l'anniversaire d'Octobre et qui ne compte pas à son répertoire une seule pièce soviétique. Il s'agit du théâtre Meyerhold […]. V. Meyerhold a commencé sa carrière dans le théâtre soviétique chargé du lourd fardeau du passé. Toute son activité théâtrale antérieure à la révolution d'Octobre a surtout pris la forme d'un combat contre le théâtre réaliste, pour un théâtre "conventionnel" [non-figuratif] à la fois esthète, mystique et formaliste, tournant en somme le dos à la vie réelle. V. Meyerhold faisait partie, à cet égard, de cette frange de l'intelligentsia russe qui, à l'éoque de la réaction, s'est plongée dans le mysticisme, le symbolisme et la recherche de Dieu, dans une tentative visant à anesthésier et pervertir la classe ouvrière…

Dans ces théories théâtrales V. Meyerhold opposait avec une particulière vigueur le "théâtre de masques" au théâtre réaliste, préconisant de montrer au théâtre des images non pas artistiques, réelles et vivantes mais "non-figuratives" et irréelles. C'est en 1920-1921 qu'ont débuté les activités de V. Meyerhold au sein du théâtre soviétique où il a été directeur des théâtres au commissariat du peuple à l'Éducation et à la Culture et fondateur du théâtre qui porte son nom. C'est l'époque où il prétend, déclenchant une bruyante campagne, que la révolution d'Octobre a commencé dans le domaine théâtral du jour où il est arrivé à Moscou.

V. Meyerhold et ses complices ont élaboré une théorie ridicule et politiquement dangereuse, selon laquelle la mise en place des conditions indispensables à l'édification du théâtre soviétique aurait pour origine non pas la révolution d'Octobre mais… la Direction des théâtres du commissariat du peuple à l'Éducation et à la Culture et V. Meyerhold son responsable […]. Il tente d'organiser autour de lui le courant formaliste en littérature, en peinture et en art dramatique (constructivisme, futurisme, etc.).

Le principal crime de Meyerhold est de s'être érigé en pouvoir autonome par rapport aux autorités politiques. Proclamer l'Octobre théâtral c'était prétendre à une révolution dans le domaine des spectacles indépendamment des directives des organes de propagande. De même qu'il ne peut y avoir de "second chef d'armée", de même il ne peut y avoir de second chef de la révolution. Le Proletkult qui prétendait à l'autonomie en matière de création artistique avait été sérieusement étrillé par Lénine. Pouvait-on tolérer cette prétention d'un individu "étranger" à son peuple ?

Dès sa toute première création (l'adaptation scénique des Aubes de Verhaeren), il magnifie le rôle d'un personnage menchévisant et traître à la classe ouvrière. Mais contrairement aux vœux du théâtre et de son directeur, ce n'est pas à ce "héros" que le public destinait ses applaudissements, mais au personnage qui le dénonçait. Sa deuxième création (la Terre cabrée), Meyerhold la dédie tout bonnement… à Trostski !
C'est ainsi qu'en 1920-1921 le théâtre Meyerhold commence sa carrière en glorifiant un traître menchevique et en encensant un ancien menchevik devenu par la suite un lamentable agent du fascisme…

À l'heure où notre art théâtral connaît un essor impétueux, au moment où nous assistons à des réussites et à des victoires extraordinaires sur tous les fronts de la culture, le théâtre de V. Meyerhold se retrouve totalement isolé. Il s'est détourné des thèmes soviétiques, de la réalité soviétique, il s'est isolé de la dramaturgie soviétique et de la société soviétique, il a développé en son sein une atmosphère asociale, de flagornerie et d'autosatisfaction jointes à l'absence d'autocritique.

L'attitude visant à se détourner de la réalité soviétique, la caricature politiaue de cette réalité et la calomnie injurieuse de notre vie ont conduit ce théâtre à un krach idéologique et esthétique complet et à une faillite ignominieuse.

V. Meyerhold et son théâtre se sont mis à l'écart du travail collectif visant à refléter la réalité soviétique à travers des images artistiques. En conséquence ce théâtre est devenu un élément étranger dans le corps de l'art soviétique, il est devenu un théâtre étranger.

L'art soviétique, les spectateurs soviétiques ont-ils besoin d'un théâtre de ce type ?